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5,3 % de Flamands à Bruxelles

Par Christophe Lamfalussy

On savait que les Flamands étaient minoritaires dans leur capitale, Bruxelles. Ils le sont bien plus qu’on ne le pense selon une étude réalisée par deux démographes qui estiment que les néerlandophones ne constituent plus que 5,3 % de la population de la région Bruxelles-Capitale face à une majorité de francophones et d’étrangers venus de l’Union européenne et d’ailleurs.

La tendance devrait se renforcer d’ici à 2020 selon les deux démographes.

Cette étude, que “La Libre Belgique” révèle ici, montre par ailleurs que la tache d’huile tant redoutée par les Flamands est bien une réalité puisque 10 000 Bruxellois s’installent chaque année en périphérie, tandis que 12 000 autres prennent la direction de la Wallonie, la plupart à la recherche de maisons unifamiliales moins chères.

Ces départs sont largement compensés par l’arrivée de ressortissants étrangers qui internationalisent progressivement Bruxelles, avec des revenus très élevés ou très bas, comparés aux standards belges.

Chaque année, Bruxelles-Capitale enregistre un solde positif avec l’arrivée de 20 000 ressortissants étrangers, soit la taille de la population d’une commune comme Koekelberg. Les Belges d’origine étrangère – en ce compris l’importante communauté belgo-marocaine qui bénéficie de la double nationalité – sont exclus de ce calcul, qui ne tient compte que des personnes ayant conservé leur seule nationalité étrangère.

Comme les grandes métropoles internationales, Bruxelles se métamorphose et l’enthousiasme des jeunes Belges à habiter la capitale – tant qu’ils n’ont pas d’enfants – ne suffit pas à compenser les déménagements vers les régions les moins chères en matière d’immobilier. “La capitale se remplit d’étrangers”, disent les deux démographes, “avec 19 668 étrangers nets en plus chaque année. La capitale se vide des Belges, avec 12 247 Belges nets en moins chaque année”.

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L’étude a été réalisée par André Lambert et Louis Lohlé-Tart, deux anciens démographes de l’UCL qui se sont installés à leur compte en créant en 1982 l’ASBL Adrass (Association pour le Développement de la Recherche Appliquée en Sciences Sociales) qui travaille au contrat pour des administrations en Belgique et à l’étranger. A la fin des années 70, André Lambert avait prévu l’explosion du chômage en Belgique en raison notamment de l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Plus récemment, en 2008, l’équipe a aussi revu à la baisse le nombre de morts causés par le conflit en République Démocratique du Congo (RDC), arrivant au chiffre de 183 000 morts et obligeant plusieurs ONG à revoir les chiffres fantaisistes qu’ils avaient diffusés.

“Le rapport sur Bruxelles a été fait en mai et juin derniers, par intérêt personnel”, raconte André Lambert. “Nous avons extrapolé les données de l’INS (l’ex-Institut National de Statistiques, NdlR), qui malheureusement s’arrêtent à 2008, et nous les avons recoupées avec des données comme les déclarations fiscales, le pourcentage des votes, les actes de naissance et les chiffres disponibles dans les administrations communales.”

Ce rapport de vingt pages éclaire l’importance et la complexité des négociations communautaires en cours puisqu’il souligne que la tendance lourde – Bruxelles, de moins en moins flamande, de plus en plus internationale – se confirme, et même s’accélère.

Bruxelles non seulement change mais aussi grandit malgré le corset politique imposé par la Flandre. Selon le rapport “Brussels Studies” publié en 2009 par deux géographes et deux démographes belges, le mouvement migratoire hors de Bruxelles s’est inversé en 1995 avec l’arrivée de plus en plus d’étrangers. La barre du million d’habitants dans les dix-neuf communes bruxelloises a été dépassée en 2005.

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Le dossier devient de plus épineux quand on voit que la quasi-totalité des bébés nés de parents étrangers deviennent Belges dans l’ordre linguistique francophone. Ainsi trois pour cent seulement des actes de naissance sont rédigés en néerlandais à Bruxelles-Ville.

L’immigration – ce n’est pas neuf – devient donc un enjeu majeur sur le plan électoral et un réservoir à voix pour les partis francophones. A l’inverse, les partis néerlandophones perdent en influence. Ceci explique pourquoi la Flandre met les bouchées doubles pour développer à Bruxelles une infrastructure (crèches, écoles, cours d’intégration sociale) qui permette d’attirer à elle une partie de l’immigration.

Les deux démographes évaluent à 66,5 % la population belge francophone à Bruxelles, à 28,1 % la proportion de ressortissants étrangers et à 5,3 % le nombre de Belges néerlandophones. Cette fourchette est bien inférieure aux 10 à 15 % de Flamands à Bruxelles que les estimations livrent habituellement.

Il y aurait donc quelque 55000 Flamands vivant dans la région bruxelloise, pas beaucoup plus que les 41 000 Français et 40000 Marocains, les deux communautés étrangères les plus importantes de Bruxelles (voir l’épinglé ci-dessous).

En extrapolant les chiffres de 2008, l’Adrass estime que la population belge néerlandophone va perdre à Bruxelles-Capitale près de 12000 personnes d’ici 2020. L’arrivée de jeunes Flamands attirés par Bruxelles la cosmopolite ne devrait donc pas faire basculer la tendance lourde.

En Belgique, pour ne pas stigmatiser une partie de la population, les statistiques ne tiennent pas compte de la répartition des habitants selon la langue, la religion ou l’origine ethnique. Le dernier recensement linguistique date de 1947, ce qui explique l’imprécision des chiffres sur la présence flamande à Bruxelles. Mais les deux démographes ont décidé de contourner ce tabou en utilisant toutes les ressources disponibles. “Les scientifiques que nous sommes pensent que cette attitude est dommageable et qu’une vraie démocratie ne devrait avoir peur de rien”, écrivent-ils.

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Infos : adrass@skynet.be

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